Par Delphine Desveaux
Journaliste et auteure pour de nombreuses publications dans le domaine de l'architecture.
LE M'ZAB André Ravéreau
Conservation
Mille ans plus tard, les principes demeurent, dictés par un idéal social, un sens de la rationalité et de la fonctionnalité adaptés à la dureté du milieu. Si rien ne semble avoir changé, mises à part les constructions récentes, c’est que les ksours font l’objet de plans de sauvegarde à l’initiative d’André Ravéreau.
Ravéreau était un élève d’Auguste Perret à l’Ecole des Beaux-Arts. En 1949, encore étudiant, il découvre la vallée saharienne du M’Zab. Un choc : les cités ibadites, si étroitement liée au territoire et à son climat, sont pour lui un magnifique exemple d’adaptation aux contraintes, d’adéquation aux traditions culturelles et de respect de l'environnement. Son diplôme en poche, il retourne en Algérie pour étudier cette architecture millénaire. Il s’installe à Ghardaïa en 1959 et commence un long travail d’analyse. Les relevés des principaux monuments et édifices civils le conduisent à créer deux ateliers régionaux d’architecture : l’Atelier d’études et de restauration de la vallée du M’Zab et l’Atelier du désert (où travailla Gilles Perraudin). Nommé Architecte en Chef des Monuments Historiques en 1965, il est chargé par l’UNESCO de préserver le patrimoine ancestral de la Casbah d’Alger. A partir de 1970, il s’efforce d’obtenir le classement de la vallée du M’Zab au patrimoine mondial de l’UNESCO avant de créer en 1973 à Ghardaïa l’Etablissement régional saharien d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (ERSAURE).
Succédant à l’Atelier d’études et de restauration du M’Zab fondé par Ravéreau, l’Office de Protection de la Vallée du M’Zab (OPVM) accomplit un travail considérable, bataillant ferme pour conserver l’architecture traditionnelle, consigner les bâtiments à restaurer, surveiller les restaurations, déconstruire les constructions illicites, qui ont poussé comme des champignons à partir des années 1990 (crise du logement) et depuis 2020 (grande inondation), et veiller aux règles d’urbanisme adoptées pour les villes nouvelles. De fait, la ville nouvelle de Tafilelt (1997) montre un bel exemple de tradition, d’intégration, d’adaptation aux nouveaux usages et aux enjeux environnementaux.
La maison de l’apprentissage (tadrart n’waazam)
André Ravéreau et sa compagne, la photographe, Manuelle Roche ont habité dans la palmeraie d’El Atteuf. Bien qu’en rénovation, la maison est intéressante pour qui aime l’architecture vernaculaire. Comme toutes les habitations, elle s’élève sur deux niveaux avec une terrasse. La maison est reliée à l’espace public (impasse ou rue) par une entrée en chicane (sqîfa) qui débouche sur une alcôve (k’bou) où peut être installé un métier à tisser. Le k’bou s’ouvre sur un patio (wast ed dar), considéré comme un extérieur à l’intérieur de la maison. Dans cet univers qui semble replié sur lui, le patio apporte lumière et ventilation tout en structurant les espaces et les fonctions, notamment le salon des femmes (tisefri), la cuisine et les salles d’eau.
Les travaux en cours montrent bien le mode constructif en pierre calcaire locale ou en adobe associé à du mortier de terre, du plâtre (timchemt) et de la chaux. La poutraison est faite de troncs de palmiers (khashba), ce qui explique la largeur à peu près commune à toutes les pièces. Les plafonds sont constitués d’un clayonnage de palmes (jrîd).
Un escalier conduit à la terrasse, réalisée avec un mortier de terre où se mêlent argile et feuilles de palmiers. Parce que la nuit, ici, réclame d’être vécue pour profiter de la fraîcheur de l’air et de la proximité des astres, la terrasse sert à la fois de chambre, de cuisine et de salle à manger.
Architecture vernaculaire
Est-ce par nostalgie d’un temps où l’homme vivait en harmonie avec la nature ? Loin de toute ambition dominatrice et de toute volonté de pouvoir, cette architecture sans architecte, humble, libre, épargnée par les convenances et les injonctions esthétisantes, m’émeut. « La leçon de Ravéreau, conjuguée à celle du M’Zab, n’est pas doctrinale mais morale. Une morale de la modestie architecturale, un effacement de l’architecte devant les vérités des sites, des cités et des hommes » écrivait Frédéric Edelman dans Le Monde[1] en 1982. Sa mesure est celle de l’échelle humaine. Elle s’inscrit dans l’épaisseur d’une culture, privilégie l’enracinement dans un site, aussi hostile soit-il. Elle s’adapte aux usages, aux réalités sociales, territoriales, religieuses. « L’irrégularité exacte des lignes, nées de la main de l’homme avant la mécanisation des constructions, est inversement proportionnelle au rigorisme religieux.[2] » Dans ces espaces minuscules où rien n’est vraiment ouvert ou fermé, la raideur, l’orthogonalité, l’architecture savante n’ont en effet pas leur place. Là, tout est biscornu, irrégulier, dépouillé, les angles arrondis, les surfaces dépouillées, évoquent le « romantisme du mal foutu » dont parlait Corbu. Peu de meubles, mais des niches et des suspensions pour avoir presque tout à portée de main. La fonction et le territoire imposent la forme.
[1] La chasse au lion, Le monde, 30 août 1982, p. 7
[2] André Ravéreau, L’Atelier du désert, Édition Parenthèses, Marseille, 2003
Retrouvez l'épisode 7 le 28 Août 2024.
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