Par Delphine Desveaux
Journaliste et auteure pour de nombreuses publications dans le domaine de l'architecture.
LE M'ZAB L'architecture mozabite
Architecture mozabite
Chaque ksar gravite autour d’une mosquée selon un ordre compact de maisons étagées en terrasses jusqu’au point le plus haut. Bien que considérées comme l’élément ordonnateur du ksar, les mosquées sont de taille modeste, bâties avec des matériaux locaux, et privées d’ornement pour ne pas détourner le pratiquant de la prière. Elles s’imposent cependant par une position dominante et par un minaret pyramidal surmonté de quatre pinacles qui, tels les doigts d’une main, s’élèvent vers le ciel.
Les murailles qui cernent chaque ksar prennent soit la forme d’un rempart moyen-âgeux, soit des maisons mitoyennes. Moins défensives que matérialisation de l’ordre, ces fortifications symbolisent les frontières entre le monde organisé et le chaos. La porte (bab) est l’emblème de cette double fonction : communication et protection. Souvent en chicane (sqîfa), la porte s’ouvre sur une rue centrale (darb) d’où partent des rues secondaires puis des venelles (zqāq) qui finissent en impasses menant aux habitations. La largeur des rues et des ruelles respecte une hiérarchie destinée à permettre le croisement d’animaux chargés, avec ça et là des alcôves pour laisser passer un groupe d’individus. Au gré des courbes de niveau, ce réseau labyrinthique est partiellement couvert pour protéger les habitants des rigueurs climatiques (+ 50° C). Les murs épais, la densité du tissu urbain et la configuration spatiale de l’habitat centré autour du patio (wast-ed-dar) permettent de faire circuler l’air par convection. L’alimentation en eau est assurée par des puits, signalés par un palmier, et un réseau de canaux souterrains.
La mosquée de Ghardaïa fut le premier bâtiment construit au sommet de la colline. Deux minarets la caractérisent : du plus ancien (6 m) ne reste que la partie supérieure. Le second date du 16ème siècle, visible à des kilomètres alentours, et notamment depuis la nouvelle place du marché (Azghar Ougharme, l’extérieur de la cité) créée à la fin du XIXè siècle dans la périphérie sud-ouest du ksar. Fréquentée jadis par des commerçants caravaniers venus des territoires lointains, cette place est encore aujourd’hui le marché le plus important et le plus dynamique de la région. De forme rectangulaire, elle est entourée de galeries en arcades blanches sous lesquelles se tiennent des commerces. Au nord-ouest, un demi-cercle formé de grosses pierres chaulées (houita) servait autrefois de sièges à l’assemblée de notables (djemaâ). Les rues qui partent de la place jouent un rôle économique dans leur partie la plus proche du souk. Plus on monte dans le lacis de ruelles, plus la réserve, la discrétion et le silence sont de mise. L’ancienne place du marché est située à mi-hauteur, dans le premier noyau du ksar. Jadis spécialisée jadis dans la vente de poteries, elle est actuellement dépourvue de fonction mais a été soigneusement restaurée.
La visite de la palmeraie, poumon vert pourvoyeur de fraicheur, d’eau et d’alimentation où les Mozabites viennent passer la saison chaude, nous permet d’appréhender le système de gestion de l’eau qui remonte à 1297. En amont du ksar, une retenue contient les eaux de pluie au moyen de 38 portes de triage qui desservent des canaux souterrains dans les quartiers la palmeraie. Les points d’eau sont de deux natures : potable à -70 m ; non potable à -25 m. Chaque maison profite de cette installation régionale pour l’alimentation, la toilette, la lessive, l’irrigation et la réalisation des briques d’adobe.
Reconnaissable par sa tour de guet et sa mosquée bleue qui dominent la vallée, le ksar de Beni Isguen est considéré par les Ibadites comme la cité savante et la ville sainte du M’Zab, la gardienne du dogme. Bien que l’ordre y soit très rigoureux, la ville est présentée comme la plus ouverte de la Wilaya, peut-être à cause de nombre de savants émigrés au Canada et en Europe. Impossible néanmoins d’entrer dans la ville sans un guide local, un tantinet directif qui nous rappelle qu’il est interdit de fumer, que nous devons marcher en file indienne, sur le côté droit et au même rythme, qu’il est interdit de prendre les gens en photo, surtout les femmes mariées[1] pourtant savamment cachées derrière leur ample gandoura blanche (haïk) qui ne laisse apparaître qu’un seul trou au niveau d’un œil. Nous passons devant la place du marché où se tiendra, comme tous les jours à 17 h (sauf le vendredi), l’ancestrale vente à la criée à laquelle j’aurais aimé assister. Nous l’avons, hélas, ratée notre guide peinant à mener comme il le souhaiterait son troupeau d’architectes indisciplinés. Au sommet du ksar, la tour de guet (bordj) offre une belle vue panoramique sur la palmeraie. Le vent de sable, tel un brouillard ocre, estompe la luminosité. L’atmosphère chargée de particules opacifie la transparence de l’air et adoucit les camaïeux ocre brun, ocre jaune, ocre rose, ocre mauve, brique, terre cuite, camaïeux de bleus plus ou moins concentrés qui semblent vouloir nous transporter bien loin, au Mexique, dans les constructions colorées de Luis Barragán.
Pour nous rendre à Bounoura, nous passons -sans nous arrêter- devant la poste réalisée par André Ravéreau. A l’ouest, des maisons-remparts sont posées directement sur une assiette rocheuse, formant ainsi un véritable front défensif. Du côté opposé, à mi-hauteur de la bute, les fortifications du premier noyau délimitent l’actuel ksar. De ce premier noyau ne restent que les fortifications et, au sommet, la mosquée qui ont été restaurées. A la suite des extensions du ksar, la mosquée se situe désormais à l’ouest, en partie basse la ville, près du lit de l'oued, contrairement aux autres cités de la vallée.
Architecture religieuse et funéraire
Chaque ksar est entouré de vastes cimetières. Si l’œil profane les voit au premier abord comme des terrains presque vagues, il s’agit de véritables cités des morts. Elles occupent une place très importante dans la mémoire collective, c’est pourquoi ils sont non constructibles. Outre les cailloux et les fragments de poteries qui jonchent les tombes, ils abritent des espaces de prière non couverts et des tombeaux d’hommes illustres.
Tout en courbe et en contrecourbes, le mausolée de cheikh Sidi Brahim est un merveilleux exemple d’architecture organique. Le saint homme avait créé ce lieu pour accueillir les caravanes de nomades afin de leur enseigner le Coran. En l’absence de bois pour faire des étagères, de nombreuses niches servent à déposer les livres et les objets tandis que le mihrab est un simple trou dans le mur.
Au nord de Melika, le mausolée de Sidi Aissa tient une place à part dans le cimetière qui environne la ville. Ses formes sculpturales blanches des pinacles s’élevant à différentes hauteurs rappellent Gaudi et pourraient illustrer l’architecture « molle » qu’avait imaginée Dali[2]. Malheureusement, le mausolée est protégé par une grille.
[1] Une fille non mariée peut laisser son visage découvert.
[2] Le Corbusier demanda un jour à Salvador Dali à quoi pourrait ressembler l’architecture du futur. Réponse : « L’architecture du futur sera comestible, molle et poilue ».
Retrouvez l'épisode 6 le 23 Août 2024.
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