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  • Delphine DESVEAUX

Retours d'Algérie - Épisode 4 - Architecture Ghardaïa - Le M'Zab

Par Delphine Desveaux

Journaliste et auteure pour de nombreuses publications dans le domaine de l'architecture.


Voyage Archi:travel en Algérie

LE M'ZAB Les Ksours et les Ibadites

 

Nous quittons Alger pour nous rendre à Ghardaïa, où Pouillon a également œuvré.

Ce qu’il est convenu d’appeler Ghardaïa est en réalité une pentapole, c’est-à-dire une agglomération de cinq villes fortifiées (ksours) construits sur des collines rocailleuses et reliés par les palmeraies qui longent le fleuve. Cette édification sur des collines tient autant à des raisons sécuritaires – razzias, inondations…- que pour préserver les terres agricoles qui bordent le fleuve. Parce qu’elle est la plus importante de la vallée, la ville de Ghardaïa a donné son nom à la préfecture (Wilaya) et est le chef-lieu de la vallée du M’Zab, classée à l’UNESCO en 1982.


Notre arrivée à l’hôtel M’Zab - convoi de trois bus encadrés par deux voitures de police tous gyrophares allumés - ne passe pas pour un modèle de discrétion. Réalisé par Pouillon en 1971, l’ex-hôtel des Rostémides a été repeint en blanc. Si les façades intérieures sont belles, l’aspect extérieur ne force pas l’admiration, si ce n’est la vue panoramique sur la vallée du M’Zab, et notamment les toits-terrasses de Ghardaïa, rompant ainsi avec l’obligation de préserver l’intimité de la sphère privée. C’est d’ailleurs à ce titre qu’André Ravéreau s’était élevé contre ce projet d’hôtel, puis après sa réalisation, avait fait ce commentaire acerbe : « Ce que [Pouillon] construisit au M’Zab est, pour des raisons que j’ai de la peine à saisir, de médiocre qualité. »


Voyage architecture Ghardaïa - Archi:travel

Les Ksours


C'est bien parce qu’ils se ressemblent que les cinq ksours de la Wilaya se distinguent. Ghardaïa (1048) domine la vallée, Melika constitue l’embout d’une crête au bord du plateau rocheux, Béni-Isguen (1355) occupe un site convexe, El-Atteuf (1012) est construite sur un site raviné, et Bounoura (1048) repose sur des rochers. Nous en visiterons trois : Ghardaïa, Beni Isguen et Bounoura, ainsi que les palmeraies et les cimetières environnants.


Les visites sont accompagnées de M. Kamel el Ramzan, que nous avons eu la chance de côtoyer pendant deux jours. Outre le fait qu’il porte très élégamment l’israoui, pantalon traditionnel bouffant plissé à la Isse Miyake que bon nombre d’entre nous se sont empressés d’acheter, il dirige l’OPVM depuis 1998. Passionné par son travail, il nous rappelle de façon récurrente les règlementations urbaines et la typologie des constructions : habitations de 7,5 m de hauteur maximum pour ne pas priver le voisin de lumière, toits accessibles, murs aveugles (vie intime, protection chaleur, soleil, vent de sable) ; recours aux matériaux locaux qui conditionnent les dimensionnements : pierre, plâtre, argile, adobe, mortier de chaux, troncs de palmiers pour les poutres de planchers, palmes courbées et enrobées dans la maçonnerie pour les voûtes ; couleurs ocre, blanche (chaux, désinfectant pour protéger le bois) et bleue (bleu de méthylène pour faire fuir les insectes). Pour autant, la préservation ne fige pas le ksar : les paraboles, les réservoirs d’eau sur les toits et les voitures font parties du paysage.



Les Ibadites


Les ksours de la Wilaya ont été construits par les berbères Ibadites[1] à partir du Xe siècle, date de leur installation dans cette vallée isolée après avoir été longtemps persécutés par les autres courants musulmans. Portant haut les valeurs d’austérité, de rigueur et de tradition, les Mozabites pourraient être comparés à des calvinistes musulmans. Pour eux, le salut ne peut être gagné que par une vie d’ascèse, de piété et de travail. Ils sont cependant réputés pour avoir la bosse du commerce : beaucoup d’Ibadites ont fait fortune en bâtissant des réseaux commerciaux à grande échelle mais la richesse ne doit jamais être ostentatoire. Au contraire, l’équité, l’uniformité des apparences, la simplicité, la solidarité sont de mise entre les familles (aide au financement d’un mariage, vêtements, études à l’étranger…). A cet effet, nous remarquons à plusieurs reprises des niches à l’entrée des maisons ou dans les ruelles qui servent à faire des dons.


Voyage architecture Ghardaïa - Archi:travel

Partout où nous nous arrêtons, et tout particulièrement au moment des repas, l’accueil est chaleureux. Bien sûr, l’hospitalité est un principe de base chez tout bon musulman. A fortiori dans le désert, où les gens, peu soumis au stress de la surpopulation, sont toujours heureux d’échanger avec l’Autre. Mais à écouter Sid Ahmed, notre guide, la rigueur de leur foi n’entame en rien leur ouverture d’esprit, du fait de leurs aptitudes commerciales, de leurs expatriations un peu partout dans le monde. Pour eux, les qualités humaines priment sur l’appartenance ethnique. A la différence du sunnisme et du chiisme, le chef spirituel n’est pas nécessairement le descendant d’une lignée particulière. Il est choisi pour ses vertus – piété, sagesse, dignité. Par ailleurs, un Mozabite ne cherchera pas à faire du prosélytisme ou à imposer ses vues.

 

[1] Les Ibadites sont également installés à Ouargla en Algérie, dans le sultanat d'Oman, dans le Djebel Nefoussa en Libye, à Djerba en Tunisie ainsi qu’à Zanzibar et au Kenya. Ils représentent environ 1 % des musulmans de la planète.


 

Retrouvez l'épisode 5 le 19 Août 2024.

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