Par Delphine Desveaux
Journaliste et auteure pour de nombreuses publications dans le domaine de l'architecture.
ALGER La Casbah, le modernisme
La Casbah
Grignotée par les Français au XIXe siècle, la Casbah s’étend à l’étage supérieur, au-dessus du quartier populaire de Bab-el-Oued. L’occupation du site remonte au VIe siècle avant JC. Cerné par des murailles monumentales, le tissu resserré est encore marqué par l’occupation turque. Au sommet, la citadelle domine. Initiés par les frères Barberousse, ses fondements, remontent au XVIe siècle. Ville dans la ville, elle réunit le palais et la mosquée ottomane (plan centré, colonnes torses, coupole octogonale, tirants en bois) du dey, le palais du bey, la Poudrière, le quartier des janissaires (militaires d’élite ottomans issus des esclaves chrétiens) avec mosquée, hammam et habitations.
La visite se poursuit vers la ville basse. Pour l’œil étranger, difficile de distinguer une rue étroite et tortueuse débouchant sur une autre rue étroite et tortueuse. Mais l’œil averti de notre guide nous invite à distinguer les nuances de cette trame resserrée, hiérarchisée par un système d’arcades, des portiques, des placettes, des fontaines et des artères plus larges plongeant sur la ville basse et la mer. On aurait aimé se perdre dans la Casbah, arpenter ces entrelacs de ruelles et de galeries, s’asseoir dans un coin, être invisible, se mettre à l’écoute des bruits, vivre la Casbah de l’intérieur… au moins le temps d’une journée. Mais le trajet ne laisse pas grand-chose au hasard : tout le monde -écoliers, rares touristes…- semble s’être donné le mot pour emprunter le même parcours.
Nous déambulons néanmoins, à l’écoute des explications du guide. Le dimensionnement des constructions est conditionné par la longueur des troncs de thuya qui forment la structure. Elle est ensuite recouverte de pisé avec ça et là, des encorbellements en troncs de thuya pour augmenter les surfaces. Bien qu’aveugles sur l’extérieur, les maisons se tournent vers un patio intérieur (west-ed-dar) autour duquel s’organisent toutes les fonctions. L’absence d’ouvertures, symptomatique des constructions traditionnelles maghrébines ou orientales (Maroc, Sahel, Iran, Jordanie…), et particulièrement représentative de l’état d’esprit algérien, répond aux conditions climatiques, sociales (éviter de se distinguer, refus de toute forme d’ostentation, préserver la sphère privée). Pour chaque maison, deux portes : l’une pour les hommes et les visiteurs, l’autre pour les femmes, avec à chaque fois un vestibule en chicane (k’bou) pour séparer l’espace public de la cellule privée. Des céramiques à œillets agrémentent parfois les entrées.
Nous faisons halte chez un menuisier qui a transformé sa terrasse en café. Quatre étages plus haut, ladite terrasse domine la baie d’Alger ainsi que les innombrables toits, éléments de vie important de la Casbah, qui descendent jusqu’à la mer.
Délaissée depuis la construction de cités HLM (années 50) et par les générations contemporaines plus désireuses de confort moderne qu’enclines à se frotter aux difficultés de succession, la mythique Casbah n’est plus ce qu’elle a été malgré de multiples tentatives de conservation. L’effondrement des terrains, la disparition de l’ancien tissu social, la dégradation des logements, dont les travaux d’entretien ne sont plus assurés depuis belle lurette, laissent à la désolation bon nombre de palais, de maisons et de ruelles. Difficile donc de retrouver la fascination qu’avait exercée la mythique Casbah auprès de mon père. Il faut dire qu’il avait le regard d’un homme de 20 ans, qu’il avait quitté pour la première fois le sol français et qu’Alger était sa première vision de l’Orient ; j’en ai 60, plusieurs voyages à mon actif, et autant de comparaisons à lui opposer.
Le modernisme
Les constructions modernistes et post-modernistes se trouvent à mi-hauteur d’Alger dans le quartier Telemly. La magnifique église du Sacré-Cœur (1956) ne laisse personne indifférent. Reprenant l’évangile selon saint Jean « Dieu a planté sa tente parmi nous », Jean Le Couteur et Paul Herbé empruntent au vocabulaire du désert la forme de l’édifice : voiles en béton banché, vitraux en pavés de verre dessinant en creux la forme d’une tente nomade tenue par des piquets, symbolique du cœur aux quatre coins du monument, esthétique du dôme, piles de la crypte… tout est parfaitement maîtrisé et convaincant.
Plus brutaliste, l’immeuble Aéro Habitat (1955, Louis Miquel, disciple de Corbu, et José Ferrer-Laloë) tranche dans la masse par son implantation perpendiculaire à la pente. Conçue dans l’esprit de la Cité radieuse (bâtiment ville, fonctionnalisation spatiale…), la barre d’une vingtaine d’étages illustre les préceptes d’une époque où l’être humain entendait dominer la nature. Des coursives desservent des duplex traversants un niveau sur deux. Au dixième étage, une rue intérieure longe la façade pour relier deux rues inscrites dans des courbes de niveaux différentes.
Plus raide, le Bâtiment-pont (1952, L. Pierre Marie) est construit à cheval entre deux collines. Le toit sert de route, plus fréquentée qu’alors, pour relier deux quartiers. L’immeuble adopte une forme de pyramide inversée afin d’épouser la déclivité du ravin Burdeau. L’entrée se situe au niveau de la route et l’on descend pour atteindre les coursives qui desservent les appartements. Au nord, la vue donne sur des jardins aménagés pour les enfants, au sud sur la ville et la rade d’Alger. Bien que nous n’ayons ni le culot ni le harnachement d’Antoine de Maximy (J’irai dormir chez vous), nous rencontrons des habitants qui nous invitent à visiter des appartements, avec toujours la même qualité d’accueil.
Retrouvez l'épisode 3 le 10 Août 2024.
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